Dossier - Les traileurs sont-ils des surhommes ?

Trail et marathon, 2 configurations de courses bien différentes et pourtant un point commun : l'endurance et la difficultée à maintenir un effort soutenu pendant plusieurs heures.
Les traileurs accumulent les trails comme le marathonien des kilomètres d'asphalte. Boulimie ? imprudence ? risques ? Quand le marathon et le trail posent le problème d'une pratique excessive. Le corps est-il suffisament apte à s'adapter à autant de débauche d'énergie, quels sont les précautions à prendre pour s'éviter une "surchauffe" moteur et un abonnement chez son kinésithérapeute.

Idée reçue : ‘‘Les marathoniens se limitent généralement à deux voire trois marathons dans une saison. Il n’est pas rare que les trailers, eux, enchaînent les épreuves, longues de plusieurs heures, sans qu’apparemment cela ne les gênent. Bien que le terrain soit moins traumatisant que sur bitume, les trailers ont quand même plus de ‘‘caisse’‘ que les coureurs sur route et l'idée selon laquelle il ne faut pas faire plus de deux marathons dans l’année est fausse.’’

En première intention, l’effort ne semble pas fondamentalement différent entre un trail et un mara-thon. Dans ce contexte, comment expliquer que les trailers enchaînent les épreuves alors que les marathoniens ne courent ‘‘que’’ deux à trois fois dans l’année ? Les uns sont-ils plus fragiles que les autres ou bien ceux-ci sont-ils moins prudents que les premiers ?

Ne rien s’interdire...
Tout d’abord, avant d’avancer certaines pistes de réflexion, il nous semble utile de préciser que nous sommes de ceux qui pensons qu’en contexte d’entraînement ou de compétition, il ne faut jamais rien (ou pas grand chose !) s’interdire. L’organisme est doué d’une grande capacité d’adaptation, il répond favorablement à de nombreux stimuli, même les plus intenses. Enchaîner des trails ou des marathons est donc, en théorie, possible.
 
...ou presque !
L’organisme est capable de répondre favorablement à de nombreuses contraintes, c’est indiscuta-ble. Les spécialistes d’ultra-endurance le prouvent chaque année sur le Marathon des Sables, la Badwater ou sur l’Ultra Trail du Mont-Blanc. Mais les capacités de l’organisme ne sont tout de même pas extensibles : le corps possède des limites d’adaptation, lesquelles ne doivent pas être dépas-sées. Si franchissement il y a, l’organisme se trouve profondément perturbé, ce qui, à terme, conduit inévitablement à des blessures et infections à répétition. Ce seuil de dépassement, il est individuel et dépend du niveau de pratique du coureur, de l’entraînement réalisé, de ses antécé-dents sportifs et médicaux, de son âge, de la qualité de son alimentation, etc. Ce sont ces facteurs qui conditionnent, en partie, la possibilité qu’un coureur a, ou pas, de multiplier les trails ou les ma-rathons.

Trail vs marathon : quelles différences ?


La principale contrainte qui pèse sur l’organisme, sur marathon ou sur trail, est la répétition de l’onde de choc de la foulée au sol. Ce stress mécanique engendre de nombreuses et profondes perturbations au niveau des structures musculaires. Les courbatures qui apparaissent les jours suivants ces épreuves en sont la preuve ! Bien que cette onde de choc soit présente sur marathon et sur trail, une différence majeure existe. Sur marathon la principale contrainte est un sol dur, en bitume, alors que sur trail les descentes sont extrêmement traumatisantes.  
L’environnement est différent. Les marathons se déroulent le plus souvent en ville, au niveau de la mer, avec un air fortement pollué, alors que les trails, bien que cela soit de moins en moins le cas, sont courus en montagne, à plus de 1000 m d’altitude. La pollution y étant moindre qu’en ville mais avec une raréfaction de l’oxygène.  
L’intensité de l’effort est différente. Sur trail, les parties de plat sont rares, l’intensité de course n’est donc pas constante : en descente, les trailers peuvent en partie récupérer. ‘‘En partie’’ car évi-demment les récupérations cardiaque et métabolique sont possibles mais par contre, la contrainte musculaire y est forte. De plus, bien que les descentes permettent une récupération partielle, les montées ne sont quand même pas de tout repos ! Elles sont généralement courues à plus de 85 % de la consommation maximale d’oxygène (VO2max). Sur marathon, l’intensité est constante, à plus ou moins 80 % de la VO2max. Les plages de récupération sont donc quasi absentes. Sur l’ensemble des 42,195 km, le marathonien est donc constamment ‘’en prise’’, sans réelle possibili-té de récupération, métabolique, cardiaque ou musculaire.
L’intensité d’un effort ne dépend pas seulement du profil du parcours, la logique de performance l’influence également. Les marathoniens, généralement, quel que soit leur niveau de performance, se fixent des objectifs extrêmement précis : ‘’je souhaite terminer mon marathon en moins de x heures’’. Les trailers, eux, la plupart du temps, ont pour premier objectif de rejoindre la ligne d’arrivée. La performance chronométrique importe peu. Le marathonien aura donc plus de scrupule à s’arrêter aux ravitaillements car il sait qu’il y perdra du temps, un temps précieux, alors que le trailer s’arrêtera plus volontiers pour boire, manger...et profiter du paysage ! Evidemment, vous trouverez toujours des trailers ayant des objectifs chronométriques ou de classement mais ils sont quand même plus rares que sur marathon. Nous n’allons pas rentrer dans les détails et procéder à une étude sociologique, mais l’origine sociale des marathoniens et trailers l’expliquent.
Au-delà des contraintes sur les muscles (et sur les tendons), les deux épreuves agressent très for-tement un organe qui à première vue n’est pas sollicité lors de la course : les intestins. A ce ni-veau, il n’y a pas de différence entre les trails et les marathons. Pendant un effort le sang est tota-lement redistribué dans le corps : les intestins sont délaissés au profit des muscles et des territoi-res cutanés. Cette ischémie intestinale altère profondément l’intégrité de la muqueuse intestinale en augmentant sa perméabilité. Or l’ouverture des jonctions serrées des entérocytes conduit à de très nombreux troubles fonctionnels et comportementaux : baisse des défenses immunitaires, into-lérances et allergies (dont alimentaires), céphalées, tendinites, etc. Afin de les éviter, il est forte-ment recommandé de ne pas multiplier les longues périodes d’ischémie comme celles engendrées par les trails et les marathons : un délai minimal de cicatrisation de la muqueuse intestinale est in-dispensable.

Alors, les trails moins durs que les marathons ?

Vous l’aurez sans doute compris, nous nous abstiendrons bien d’affirmer que les trails sont moins difficiles que les marathons, rendant leur enchaînement possible. Les trails sont très clairement autant, voire plus, traumatisants que les marathons. Dans ce contexte, est-ce à dire que les mara-thoniens sont ‘‘fragiles’’ ou bien que le conseil de ne pas courir plus de deux à trois épreuves par année est excessif ? Nous pensons davantage que ce sont les trailers qui ne sont pas prudents ! Courir plusieurs heures durant, avec de fortes montées et descentes, en altitude donc en situation partielle d’hypoxie, stresse fortement l’organisme. Pour s’en convaincre, il suffit de comptabiliser les trailers blessés ! Ces blessures, elles ne doivent surtout pas être considérées comme une fata-lité, elles sont indiscutablement le fruit de surcharges. Pour intégralement résorber les perturba-tions fonctionnelles engendrées par les marathons et les trails, il est indispensable de respecter une période de récupération longue de plusieurs semaines. Par ailleurs, au-delà des effets extrê-mement nuisibles sur la santé, enchaîner les courses, d’un point de vue purement sportif, est tout à fait contraire à la recherche de performances. Par performance, nous ne parlons pas seulement des coureurs recherchant une référence chronométrique ou une place, essayer de finir une course est une performance comme une autre. L’organisme ne peut être indéfiniment performant. Dans une saison, il ne peut être ‘’au top’’ qu’à deux ou trois occasions, pas davantage.

=> Lire aussi le dossier complémentaire sur le malaise vagal du traileur


Nous sommes bien conscients que le calendrier pédestre est très riche, qu’il est tout à fait possible de courir une voire plusieurs fois chaque semaine et que dans ce contexte, choisir telle ou telle épreuve est extrêmement compliqué. Et pourtant multiplier à l’envie les longues distances a, sans aucun doute, des effets pervers sur la santé et sur les performances.




Crédits photos ©RaidRandoTrail

Dossier rédigé par Loïc Arbez

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